Je fais un don !
fermer

Actualités

Permaculture inspirante au lac Kivu

Avec la permaculture, on peut récolter toute l'année. (c) Achille Biffumbu

RD Congo – Des collègues qui ont littéralement les pieds sur terre. Cela vaut pour tous nos collègues dans les pays partenaires, mais certainement pour Achille Biffumbu, membre du personnel à temps partiel de Join For Water en République démocratique du Congo et propriétaire d’une ferme qui a beaucoup à nous apprendre. Sur une péninsule du lac Kivu se trouve le Kraal du Lac Kivu, où Achille pratique avec passion la permaculture* et l’agroécologie. Il rêve que sa ferme inspire d’autres agriculteurs dans une région marquée par l’insécurité et les problèmes alimentaires et écologiques.

La ferme est née d’une initiative lancée en 2006 pour former à l’agriculture biologique d’anciens enfants soldats, des jeunes qui ne pouvaient pas aller à l’école et des petits agriculteurs. Les résultats de ce projet ont finalement donné naissance à la ferme « Kraal du Lac Kivu », une initiative privée d’Achille. Pour ce faire, il a acheté des parcelles de terre, jugées improductives par la population, et les a transformées en ferme permaculturelle, un concept nouveau dans la région*.

Aujourd’hui il s’y développe un verger d’agrumes (orangers, citronniers, mandariniers), manguiers, avocatiers, goyaviers, bananiers et caféiers arabica; cultures maraîchères et vivrières, apiculture, l’idée étant aussi d’y ériger progressivement un cadre d’accueil écolodge paysan et de formation (salle de formation, réunion, camping…), élevages (volailles, lapins etc.).

De Kraal DR Congo
(c) Kraal du Lac Kivu – Achille Biffumbu

Rendement et formation

Dans cette ferme, Achille cultive des produits alimentaires pour le marché local, mais son objectif est également de former les agriculteurs aux méthodes de permaculture et d’agriculture régénérative** par le biais de la « Kivu Regenerative Academy » (Académie régénérative du Kivu). Cela leur permettra de créer des moyens de subsistance alternatifs et de mieux résister aux effets du changement climatique, qui plus est dans un environnement où l’accès à la terre devient de plus en plus difficile en raison de la forte croissance démographique. Achille propose aux jeunes de s’impliquer et d’apprendre les principes et la pratique de la permaculture à travers des modules de cours.

La région est confrontée à de longues périodes de sécheresse et à des précipitations imprévisibles, ainsi qu’à une baisse des rendements agricoles. Achille n’attribue pas cette situation à des facteurs externes tels que le changement climatique, comme c’est souvent le cas. Il pense que les interventions humaines telles que la déforestation, l’érosion et la forte pression démographique sur les terres ont également un impact décisif. La permaculture offre une alternative à ceux qui doivent s’adapter à ces défis et peut être appliquée dans de nombreux contextes et environnements tels que les villages, les villes, les camps de réfugiés et les écoles. Le Kraal est donc un site éducatif où émerge une combinaison entre des techniques déjà connues des populations locales et ses principes éthiques fondamentaux de prêter attention à la terre, aux humains tout en invitant au partage.

Achille est de formation universitaire en Développement Rural et il a toujours été passionné par l’agriculture, en fils de paysan. Il a longtemps été autodidacte, avant de suivre des formations en France, au Bénin, Togo et au Kenya. Aujourd’hui, il est en contact avec des experts en agroécologie, permaculture et agriculture régénérative de renom qui continuent à le guider.

Pesticides toxiques

Le déversement de pesticides toxiques en provenance de Chine, d’Inde, du Pakistan, des États-Unis et d’Europe l’a conforté dans son choix de la permaculture. Ces produits sont souvent interdits depuis longtemps en Europe, mais au Congo, ils ne font l’objet d’aucune réglementation ni d’aucun contrôle et sont largement utilisés, malgré les risques élevés qu’ils représentent pour l’environnement et la santé. En même temps, les producteurs de ces produits ont un impact très important sur l’agriculture de la région. Souvent, les agriculteurs n’ont pas accès à la formation ou celle-ci est dépassée. Après la formation, il n’y a pas d’autres conseils pour les agriculteurs et ils dépendent des conseils et du marketing de ces entreprises.

Achille remarque clairement la différence avec l’agriculture traditionnelle au Kivu. « Grâce à la diversification et à la combinaison des cultures, je peux récolter à tout moment, de sorte que la saison des récoltes chez moi dure toute l’année. Dans sa forêt nourricière (food forest), où il associe caféiers, bananiers, arbres fruitiers et autres, il peut par exemple produire des haricots et du soja sous les caféiers, des bananes et des mangues sur les caféiers et des avocats sur les bananiers. Une autre zone contient des ruches où il récolte du miel, tandis que les abeilles pollinisent et favorisent la production de café.

La vente de ses produits reste un défi. Il y a par exemple la concurrence du marché extérieur, notamment les légumes qui viennent du Rwanda et qui sont vendus à très bas prix bien qu’issus de l’agriculture trop dépendante des produit et engrais chimiques.  Mais grâce à l’éducation et au marketing social, Achille voit la demande pour ses produits augmenter. Pour le café, le Re-Kafé, « Kraal Regenerative Coffee », l’intérêt est très élevé. Ce café est le premier café permaculturel en République Démocratique du Congo et de plus en plus de demandes lui parviennent, y compris de l’extérieur du Congo.

 

(c) Kraal du Lac Kivu – Achille Biffumbu

Un exemple inspirant

Achille constate que les cinq jeunes employés permanents et la dizaine de femmes qui aident occasionnellement sont de plus en plus convaincus de la valeur ajoutée de la permaculture. Ils constatent que le Kraal devient plus résillient que d’autres exploitations et qu’il continue à produire quand d’autres ne récoltent pas. Mais ce n’est pas seulement la récolte qui est importante pour Achille. Le plus important, c’est que la ferme se développe comme une modeste exploitation familiale d’économie humaine, c’est-à-dire sociale et solidaire.

Malgré les immenses problèmes auxquels la région est confrontée, Achille est optimiste quant à l’évolution de la situation.  Il est particulièrement heureux que le Kraal soit une source d’inspiration pour d’autres. Le site a servi d’étude de cas pour une conférence régionale sur la transition agro-écologique en RD Congo et dans la région des Grands Lacs à Goma en septembre 2021. Des ONG de Bukavu, à 150 km de sa ferme, s’y rendaient déjà. Tout cela a attiré l’attention des locaux qui se demandaient pourquoi les gens venaient de si loin pour comprendre ce qu’est la permaculture.

Lorsqu’il partage ses belles expériences, ses résultats, mais aussi ses échecs via les réseaux sociaux et d’autres canaux d’information, Achille sait qu’ « en travaillant ensemble, nous nous renforçons les uns les autres et nous allons de l’avant ».

 

 * La permaculture est une contraction d’agriculture permanente. Grâce à une organisation intelligente des parcelles et à la prise en compte de l’écosystème existant, l’agriculteur peut récolter toute l’année.

**L’agriculture régénératrice consiste à valoriser les ressources naturelles plutôt qu’à les épuiser. L’objectif est également de restaurer la biodiversité, d’améliorer la qualité des sols et de lutter contre la déforestation.

(c) Kraal du Lac Kivu – Achille Biffumbu